Mais la plante et le sol ne sont rien sans le travail du cultivateur, et c’est plus vrai de la vigne que de toute autre culture. Il peut paraître fastidieux d’énumérer tous les travaux auxquels sont astreints les vignerons ; il le faut pourtant, si l’on veut montrer qu’il n’est guère de saisons où ils n’aient à prendre le chemin des vignes, l’outil à la main.
À peine la récolte précédente est-elle terminée, parmi les feuilles roussies, qu’on recommence à labourer pour préparer la terre ; cette terre, il faudra constamment l’ameublir, la nettoyer des mauvaises herbes : bêchage ou labourage profond au printemps, raclages successifs au moyen du fessou, la pioche au large fer, au manche court, de la meille à deux dents, de la raclette. Souvent, au bas de pentes trop raides que ravinent les eaux, on remonte la terre à la hotte. Certains de ces travaux sont aujourd’hui simplifiés ; la petite charrue à vignes soulage l’effort du vigneron.
Dans ce sol ainsi préparé, le cep doit être constamment dirigé. Dès que les premiers rayons d’un soleil encore pâle annoncent le printemps, on taille le cep pour le débarrasser du bois mort, pour préparer les poussées prochaines. La taille est courte, ne laissant à chaque sarment que deux ou trois bourgeons (les yeux), ou longue, suivant la vigueur du cep. D’ailleurs, les formes des tailles sont extrêmement variées ; chaque vigneron a ses préférences et les adapte suivant le terrain, les plants, le résultat cherché. Les pinots sont généralement taillés en forme de “gobelets”, avec des bras plus ou moins écartés ; mais souvent aussi on pratique une taille mixte, à sarments inégalement longs. ·
Autrefois, dans la taille des ceps de pinot fin, on ne gardait qu’un seul sarment, le plus élevé ; les souches s’allongeaient ainsi d’année en année, atteignant jusqu’à 1 m 50, et les vieilles souches passaient pour donner les meilleurs vins. Ce système amenait le vieillissement précoce du cep, que l’on devait rajeunir par provignage ; il a été complètement abandonné depuis le phylloxéra.
Le printemps, c’est aussi l’époque où l’on replantait les échalas (les paisseaux), enlevés avant l’hiver ; aujourd’hui, dans la plupart des vignes, chaque rangée de ceps est disposée le long de fils de fer bien étirés qui dispensent de ce soin. À ces échalas ou à ces fils de fer, il faut soigneusement lier les branches à mesure qu’elles poussent, les rattacher avec des brins d’osier, de paille de seigle ou, maintenant, de brins de joncs. Mais la vigne, trop exubérante, risquerait de pousser tout en feuilles si on ne l’étêtait de temps en temps, si on n’enlevait, par une opération d’émondage, tous les bourgeons adventices.
Tous ces travaux ont toujours été nécessaires à qui voulait tirer le raisin de la terre, et ce sont peines que l’on supportait de bon cœur. On se résigne moins bien aux vexations nouvelles que les maladies de la vigne ont entraînées. Le mildiou, favorisé par un temps humide, doit être combattu avec des aspersions de bouillies cupriques. Tâche rebutante, dangereuse, où les vêtements, la figure s’imprègnent d’un liquide bleuâtre, empoisonné, pendant que l’homme, le lourd réservoir sur le dos pompe sans relâche et dirige le jet alternativement à droite et à gauche. Il est vrai qu’aujourd’hui les rangées de ceps sont souvent plus espacées : c’est un mulet qui porte le pulvérisateur d’où jaillissent les jets de sulfate de cuivre ; mais cela n’empêche que l’homme prépare, manipule et dirige, plongé dans cette atmosphère nocive. Et l’opération doit être répétée trois ou quatre fois, ou même plus. Contre l’oïdium, surtout redoutable après les hivers trop doux, il faut saupoudrer autant de fois avec du soufre ; il faudrait ajouter aussi les traitements aux arséniates, à la nicotine contre les insectes, notamment la cochylis. Bienheureux encore les vignerons, si tous ces remèdes suffisaient ! Mais on n’est jamais très certain de les avoir appliqués au bon moment.
Le dernier des travaux, c’est la vendange. On ne la commençait autrefois qu’à une date fixée par l’autorité locale ; le ban de vendanges précisait aussi la date à partir de laquelle le grappillage était autorisé aux indigents. La diversité des plants ne permet plus aujourd’hui des règles aussi rigides ; chacun récolte à sa guise ; mais ce n’est pas toujours sans inconvénients, et l’on réclame parfois le rétablissement du ban de vendanges.
Cette vendange a été assez chantée par les poètes pour qu’il ne soit nul besoin d’en célébrer le symbole, de décrire le geste précis et émouvant de la cueillette de raconter les joies bruyantes qui l’accompagnent. On se doute moins du labeur qu’elle représente. Il n’y a que joie à cueillir les grappes dorées dans le soleil d’automne ; mais il faut dire aussi les longues stations accroupies dans la boue gluante, les matins brumeux où les feuilles luisantes de rosée mouillent les bras jusqu’aux épaules, la chasse aux grains que les doigts gourds de froid poursuivent entre les mottes de terre, les lourds paniers que les femmes soulèvent avec peine, tandis que l’on traîne en trébuchant des chaussures difformes, engluées de boue. Et la hâte fiévreuse des journées menaçantes où la pluie risque d’interrompre toute la récolte ! Et les années de désolation où l’on cueille de-ci de-là quelques grappes clairsemées en songeant à tous les labeurs qui n’auront pas obtenu leur récompense !